En France, les salariés représentent près de 90 % de la population active occupée. Je suis moi-même un fils de salariés et j’ai longtemps été salarié moi-même. Depuis l’enfance, ce rapport au travail et à la vie me semblait donc évident : j’allais devenir un salarié du secteur public ou privé. C’était la seule option réaliste qui s’offrait à moi. Toute autre direction relevait du fantasme ou de l’impensable.
Si la condition de salarié existe depuis longtemps dans l’histoire des civilisations, elle est longtemps restée un fait marginal. Son développement date de la renaissance (avec le déclin de la féodalité) et sa généralisation eut lieu au moment de la révolution industrielle. C’est donc à partir du 19e siècle qu’il devint très courant d’offrir sa force de travail à un employeur en échange d’un revenu.
Cependant, cette évolution s’est accompagnée de grogne et d’incompréhension. Les paysans et les artisans assimilaient le travail encadré à de l’esclavage. Les premiers travaillaient dur sur leurs terres pour produire et vendre leurs récoltes, les seconds s’échinaient dans leurs ateliers pour produire et vendre leurs biens ou services. Dans les deux cas, ils détenaient eux-même leurs moyens de production, tiraient orgueil de leur savoir-faire et ne dépendaient pas d’un patron ou d’un client unique. Autrement dit, ils se sentaient libres et maîtres de leur destin.
Le salarié, au contraire, loue son temps et ses compétences pour une cause à laquelle il se sent le plus souvent étranger (par exemple : l’enrichissement personnel de son patron…) Il s’est rendu dépendant de son employeur pour survivre. Ce n’est pas lui qui fixe les règles. S’il refuse d’exécuter les ordres, il risque de se faire mettre à la porte et de perdre son unique moyen de subsistance. Au contraire, s’il se montre docile, il peut espérer plaire à son maître, obtenir une promotion et davantage de sécurité.
On voit bien tout ce que la relation patron-salarié a d’asymétrique. C’est pourquoi nos parents et grands-parents ont dû lutter pour obtenir des droits (congés payés, sécurité sociale, etc.) grâce à eux, les protections et avantages du salarié sont garantis par la loi. Cela, du moins, jusqu’à ce que des gouvernements successifs ne remettent en cause ces acquis au nom de la sacro-sainte trinité : flexibilité, austérité, croissance.
De nombreuses études démontrent pourtant le manque d’impact de la flexibilité sur la diminution du chômage et l’inefficacité des politiques d’austérité en termes économiques. Quant à la croissance, ces mesures semblent plutôt la ralentir – et de toute façon, la recherche continue de la croissance est un comportement nocif, irréaliste et irresponsable. Au final, la réduction des droits des salariés ne fait qu’augmenter les inégalités et la mauvaise répartition des richesses.
L’analyse des statistiques de ces dernières décennies confirment que la libéralisation et la mondialisation de l’économie n’ont rien fait pour améliorer le sort des salariés. Au contraire, la situation n’a fait qu’empirer dans les pays occidentaux : chômage chronique et/ou augmentation dramatique de la pauvreté, augmentation du stress au travail, pratiques managériales scandaleuses, etc.
Résultat, si le salariat a pu représenter, au cours des trente glorieuses, une base solide sur laquelle appuyer sa vie (car il apportait confort, sécurité et confiance en l’avenir à de nombreux foyers), il est devenu synonyme de souffrance et d’impasse pour les jeunes générations.
En effet, nous sommes de plus en plus nombreux à considérer le salariat d’un œil critique. Dans la balance, nous avons d’un côté des emplois de plus en plus précaires, stressants et inutiles (voire nuisibles) – et de l’autre, des individus en quête de sécurité, de bien-être et de sens…
Au vu de cette insatisfaction et de la constante augmentation du chômage, beaucoup de Français se tournent vers la création d’entreprise individuelle ou les statuts alternatifs (portage salarial, SCOP, etc.)
Mais c’est parfois pour se trouver piégé dans une situation similaire ou pire que celle du salariat. Ainsi, ces travailleurs « indépendants » se trouvent parfois liés à un client ou une plateforme unique (type Uber ou Deliveroo). Dans ce cas, ils se trouvent encore dans une relation de type asymétrique et les conditions peuvent se révéler pires que celles qui prévalent entre patrons et employés.
C’est pourquoi, si vous voulez sortir du salariat et créer votre activité indépendante (ce qui va tout à fait de pair avec les valeurs de liberté et d’autonomie), je vous invite à bien préparer cette démarche. Voici quelques conseils, issus de ma propre expérience et de celle de mes proches.
Tout d’abord, assurez-vous que l’activité projetée vous plaise et qu’elle s’accorde bien à vos valeurs. Rien de pire que de se trouver à nouveau coincé dans un métier ennuyeux et inutile sous prétexte qu’il vous rapporte davantage qu’un autre.
Ensuite, demandez-vous aussi si vous pouvez pratiquer votre future activité à l’endroit où vous vivez ou souhaitez vivre… Certaines occupations sont plus adaptées à la campagne (maraîchage, élevage, fermes pédagogiques, etc.), d’autres plutôt urbaines (culture, événementiel…) et quelques-unes peuvent se pratiquer à peu près n’importe-où (métiers du web, certains commerces de proximité…)
Ajoutons qu’il est préférable de posséder d’ores et déjà de solides compétences dans le domaine que vous souhaitez développer. Dans le cas contraire, pensez à vous former.
La rentabilité est évidemment un autre critère à prendre en compte. Si vous décidez de vous engager dans un mode de vie plus économe et responsable, vous devrez quand même gagner suffisamment pour couvrir les quelques dépenses qui se présenteront (car l’autonomie totale est très difficile à atteindre dans les sociétés qui sont régies principalement par les notions de propriété et de consommation).
Évaluez dans un premier temps quels seront vos besoins mensuels incompressibles. Vous pouvez bien sûr songer à tous les moyens de réduire ces dépenses tout en adoptant un mode de vie plus responsable (ce site est là pour vous y aider).
Ensuite, une bonne étude de marché s’impose. Grâce à elle, évaluez combien vous rapportera réellement une heure de travail. N’hésitez pas à explorer les techniques qui vous permettront d’optimiser votre temps travaillé. Attention toutefois à conserver une approche éthique : voulez-vous vraiment vous épargner du temps à répondre aux mails et au téléphone en déléguant ces tâches à un prestataire sous-payé d’un pays en voie de développement ?… Tous les raccourcis ne sont pas bons à prendre.
Vous vérifierez aussi que vous ne vous engagez pas dans une situation « tronquée » comme celles évoquées plus haut. Votre entreprise devra reposer sur des rapports d’égal à égal avec des clients divers. Mieux vaut avoir beaucoup de petits clients proches de vous qu’un ou deux très gros client, même si ces derniers semblent beaucoup plus « juteux ». De cette manière, ni vous ni vos clients ne serez en mesure d’imposer à l’autre des conditions abusives.
Tout au long du processus de création, vous n’oublierez pas de faire appel aux mesures d’aide et de protection qui s’offrent à vous : accompagnement, soutien financier, congé de formation, congé sans solde ou disponibilité…
Pour finir, je dirais que cette démarche d’émancipation du salariat me semble plus pertinente si elle fait partie d’une philosophie de vie plus globale, visant à plus de bien-être et d’indépendance au quotidien.
Dans certains cas, selon votre situation et votre caractère, il peut se révéler plus pertinent de rester salarié, mais de changer d’emploi (pour aller vivre à la campagne ou occuper un poste moins stressant par exemple), d’essayer le télétravail et/ou de passer d’un temps complet à un temps partiel… Ceci dégagera le temps et l’énergie nécessaires pour s’épanouir et déconsommer !