Dans son Manifeste pour la terre et l’humanisme, Pierre Rabhi nous dévoile sa vision du monde et trace des chemins pour nous guider dans les tempêtes à venir. C’est l’occasion de découvrir en détail la pensée de Rabhi, ses convictions et ses réponses.
Le parcours de Pierre Rabhi
Contrairement à son autre ouvrage Vers la sobriété heureuse, l’auteur ne s’étend pas ici sur son parcours personnel. Il évoque simplement sa longue expérience dans l’agroécologie (assez proche de la permaculture dans ses principes), aussi bien en France qu’auprès des populations du Sahel. Mais avant d’aborder l’ouvrage proprement dit, il me semble intéressant de rappeler un peu qui est Pierre Rabhi.
Né en Algérie dans un petit village situé dans une oasis, Rabhi a vécu durant son enfance l’irruption tardive de l’industrialisation au sein de sa communauté traditionnelle. La vie de sa famille en a été bouleversée. Les rapports au temps, à l’argent, au travail et à la modernité ont secoué le village de fond en comble… Pour le malheur des uns et des autres.
Puis, très jeune, il part vivre en France métropolitaine. Ses premiers boulots, à l’usine, contribuent à aiguiser son regard critique sur notre société… mais ne l’épanouissent pas beaucoup. Il décide donc rapidement d’aller vivre à la campagne, de la terre, ou plutôt avec elle, comme le faisaient autrefois les gens de son village.
Après un apprentissage auprès de paysans cévenols, il parvient à acheter une vieille ferme et se lance avec son épouse dans l’aventure de l’agroécologie. Il développe alors un rapport à la terre teinté de spiritualité et adopte un mode de vie frugal, en grande partie autonome, dans le respect de la nature et de l’humain.
Le Manifeste pour la terre et l’humanisme
Pierre Rabhi se fait peu à peu connaître pour son engagement en faveur de l’écologie et de la sobriété heureuse. Il intervient dans de nombreuses conférences et publie plusieurs ouvrages. Le présent manifeste est en quelque sorte un bilan de sa pensée. L’ouvrage est court – 140 pages, préface et postface comprises – et bénéficie d’un style simple, limpide et raffiné. Il constitue je pense une bonne introduction si vous souhaitez découvrir les thèses de l’auteur (en revanche, si vous voulez en savoir plus sur son parcours de vie, je vous conseille plutôt Vers la sobriété heureuse).
Le Manifeste pour la terre et l’humanisme se décompose en deux temps : premièrement, la description du monde actuel et des problèmes causés par l’activité humaine, puis l’exposition des solutions possibles.
L’état de la planète et la responsabilité humaine
Rabhi rappelle, de façon claire et synthétique, l’ensemble des problèmes à grande échelle auxquels nous devons ou allons devoir faire face. Pollution, déforestation, épuisement des sols, pic du pétrole, du charbon et des matières premières, réchauffement climatique, famines à grande échelle, etc., etc. Le bilan n’est pas joyeux. Il a même de quoi faire frémir. Mais il a le mérite d’être réaliste et assez complet, sans virer non plus dans le sensationnalisme.
Bien que Pierre Rabhi ne cite pas ses sources (ce livre n’est pas un ouvrage universitaire), les conclusions de son Manifeste pour la terre et l’humanisme rejoignent les études scientifiques les plus sérieuses, comme le rapport du GIEC ou le rapport Meadows, pour ne citer que ceux-là. Il s’agit donc d’une bonne introduction si vous souhaitez avoir une vue d’ensemble de la question environnementale et des liens qu’elle peut avoir avec le mode de vie « occidental ».
Car pour Rabhi – comme pour le couple Meadows – ces problèmes ont une source commune : notre niveau de vie et notre quête de croissance perpétuelle. Et comme eux, il estime qu’une solution purement scientifique n’est pas viable.
Une solution originale et lumineuse : la révolution des consciences
Mais là où Denis et Daniela Meadows proposaient un point de vue et des réponses systémiques à ces problèmes, Pierre Rabhi va plus loin dans son adresse au lecteur. En effet, il ne propose pas d’orienter des politiques à l’échelle des états-nations, comme pouvaient le suggérer les conclusions du rapport Meadows.
Le Manifeste pour la terre et l’humanisme incite plutôt chacun d’entre nous à prendre conscience et à agir individuellement, puis collectivement – selon la fameuse phrase de Gandhi, « incarnez le changement que vous voulez voir dans le monde ». Chaque lecteur est encouragé à prendre conscience de la situation et du rôle qu’il y joue, puis à prendre sa part de responsabilité pour améliorer les choses.
En effet, devant des problèmes aussi colossaux, la première réaction d’un individu sera généralement, soit la fuite (faisons l’autruche, carpe diem, on verra bien, on s’en fout…) soit le désespoir (il n’y a pas de solution, on est foutus, no future, on va tous crever). Rabhi propose une troisième voie : agissons, un jour après l’autre, individuellement et modestement.
L’auteur évoque en effet la possibilité de faire le deuil d’une certaine vision du confort, du plaisir et de notre rapport au temps. Comment ? En choisissant de vivre plus simplement, en harmonie avec la nature. Pas dans un avenir lointain. Mais dès demain. Dès aujourd’hui, même. Il ne tient qu’à nous de sortir de la folie consumériste. De faire un potager. D’acheter d’occasion plutôt que neuf. De tendre vers l’autonomie. De se rapprocher de la nature. De ralentir…
C’est cela, la révolution des consciences. Et plus nous serons nombreux à ériger la sobriété heureuse en idéal, plus l’effet prendra bel et bien des allures de révolution. Pour compléter cet axe central, l’ouvrage propose un ensemble de solutions associatives, auxquelles il est possible non seulement d’avoir recours, mais aussi de soutenir et même de s’investir.
Des reproches… et des éloges
Alors, ce livre est-il parfait ? Sans doute pas. Tout d’abord, il est très court et ne fait donc que survoler certains problèmes. Mais c’est un parti-pris : celui de toucher un large public et d’aborder la situation dans son ensemble plutôt que dans le détail. Et ce qui est vrai pour le bilan de l’état du monde l’est aussi pour les solutions. Rabhi brosse à grands traits la direction mais ne donne pas d’astuces ou de conseils pratiques. Il reste dans le domaines des idées et, bien qu’il l’ait lui-même pratiqué, il n’indique pas de manière très précise comment mettre en œuvre la sobriété heureuse.
Mais peut-on réellement le lui reprocher ? Là n’est pas vraiment l’objet du livre. Ce manifeste est pensé pour agir sur les consciences, pas pour livrer des conclusions scientifiques ou des conseils pour se mettre à l’agriculture bio. Pour cela, il faudra vous procurer d’autres types d’ouvrages 😉
D’autre part, on reproche parfois à Pierre Rabhi sa spiritualité particulière, la mystique qu’il développe autour de la terre-mère. Mais cela tient un rôle somme toute mineur dans cet ouvrage et – semble-t-il – dans sa pensée en général. De plus, un peu de spiritualité, même païenne, n’est pas forcément un gage d’imposture ou de bêtise – bien au contraire.
Enfin et surtout, le Manifeste pour la terre et l’humanisme ne se limite pas à l’énonciation des problèmes. Pierre Rabhi explore aussi les solutions, et celles-ci ne sont pas du tout abstraites ou en dehors de nos capacités individuelles. Bien au contraire, elles sont à portée de main et n’attendent que nous pour porter leurs fruits…
MISE A JOUR DU 5 FÉVRIER 2018
Suite à des commentaires dans différents groupes sur les réseaux sociaux, je pense qu’il peut être utile d’apporter quelques précisions à cet article.
Pierre Rabhi fait l’objet de plusieurs critiques, parfois très véhémentes. Pour les résumer, je dirais qu’elles portent sur trois grands thèmes :
- les personnes qu’il fréquente ;
- l’argent qu’il gagne via son association (et d’une façon plus générale, le fonctionnement de celle-ci) ;
- des propos qu’il a pu tenir dans certaines émissions et qui sont parfois qualifiés de misogynes ou d’homophobes.
Pour faire simple, certains l’accusent de ne pas vivre en accord avec les valeurs qu’il prône dans ses livres. Je ne vais pas m’étendre sur la pertinence de ces attaques. Celles-ci portent essentiellement sur la personne et non sur ses ouvrages (arguments ad personam, ou au mieux ad hominem).
J’aime autant ne pas perdre de temps à creuser ces questions, et ce pour une raison très simple : elles n’ont pas, à mes yeux, d’intérêt particulier. Le type de livres dont traite cet article, relevant surtout de la philosophie et permettant de partager une vision du monde, se suffisent à eux-mêmes. Leur intérêt réside dans les idées qui y sont développées, pas dans les vices ou les vertus supposés de leur auteur.
Or, j’estime que les idées développées dans les livres que j’ai lus de Rabhi (Vers la sobriété heureuse et le Manifeste pour la terre et l’humanisme) sont bien énoncées, pertinentes et inspirantes. Cela, je le maintiens ; je suis d’ailleurs tout à fait prêt à discuter de ces ouvrages, et même à en défendre les thèses principales.
Mais d’une manière générale, je pense qu’il faut éviter l’attitude qui consiste à idolâtrer ou à conspuer des personnages publics. Ces individus sont humains avant tout, comme vous et moi. Trop attendre de l’autre, l’idéaliser en bien ou en mal, s’en faire une image caricaturale dans un sens ou dans l’autre sans preuve concrète, etc., n’est pas très utile. Et même, juger autrui est bien souvent une perte de temps – qui nous empêche d’agir de manière concrète…
En effet, si on attend d’être sauvés par un héros ou un guide mû par ses seules conviction et générosité, on risque surtout de se soumettre au premier manipulateur venu – ou de mourir avant de trouver ce parangon de vertu. Une telle attitude relève en fait d’une approche très « consumériste » de la politique. Bien au contraire, si nous voulons que les choses changent – et comme Rabhi nous y enjoint dans ce livre – c’est à chacun d’entre nous d’agir et de prendre sa part de responsabilités…
4 commentaires
Où puis-je trouver le livre et à partir de quand
Hello ! 🙂
En fait tu peux le trouver en librairie sans problème, puisqu’il est sorti il y a quelques années déjà et c’est une sorte de « classique » de l’écologie (sorti en 2008 il me semble). Et si ton libraire ne l’a pas, tu peux le commander sans souci 🙂
Merci pour cette belle chronique qui donne envie de découvrir cet ouvrage !
Merci à toi 😉