Je vous le dis tout suite, cet article ne va pas plaire à tout le monde. Déjà parce qu’on va y parler de la pire invention de l’homme du glyphosate, ce pesticide honni entre tous…
Plus grave encore :
Dans ce débat, je ne m’aligne sur AUCUNE des 2 thèses dominantes, à savoir :
1. Le glyphosate dans les aliments, ça file le cancer, donc il faut l’interdire
2. Le glyphosate, c’est inoffensif pour la santé et ça offre des super rendements, donc il faut l’autoriser
Bref, je ne me situe ni dans le camp du bien, ni dans le camp du mal (ou vice versa)…
Pourquoi ?
Parce que le débat sur le glyphosate repose, depuis ses origines, sur un immense malentendu :
Le cœur du problème n’est PAS la santé publique…
Mais l’impact social et environnemental.
Alors on attache sa ceinture, on coupe ses préjugés et on met son cerveau en marche… Vous êtes prêt ??
C’est parti !
Cancérigène ou pas ?
Allez, on commence direct avec la question qui fâche :
Le glyphosate est-il cancérigène ?
Roulements de tambours en attendant la réponse… Suspense, suspense… Ah on me fait signe dans l’oreillette que ça arrive…
Oh, oh – je pense que ça va pas vous plaire !
Tant pis :
ON SAIT PAS.
Bon, cela mérite quand même quelques éclaircissements…
Alors voici des exemples de produits cancérogènes avérés :
- l’alcool
- l’amiante
- les gaz d’échappement des moteurs diesel
- le tabac
- le plutonium 239
- l’arsenic…
Et le glyphosate ne figure pas dans cette catégorie.
Pourtant, comme vous pouvez le constater, de nombreux produits s’y trouvent…
Même si cela dérange parfois de grandes firmes industrielles (et pas des moindres !)
Alors vous me direz :
Certains de ces produits ont nécessité de hautes luttes médiatiques pour figurer dans cette liste (par exemple : le tabac, l’amiante…)
Pour y parvenir, il a fallu affronter les résistances des grandes firmes pendant des décennies. Démasquer leurs mensonges, leurs complots parfois. Aussi bien dans les médias, dans les tribunaux et jusque dans l’arène politique…
Pourquoi n’en irait-il pas de même avec Bayer/Monsanto et leur produit-star ?
Pourquoi ne devrait-on pas leur faire mordre la poussière, à eux aussi – afin que la vérité éclate au grand jour et que le Glyphosate soit enfin reconnu comme cancérogène avéré ?
Parce que le combat a déjà été mené. Et la victoire emportée.
Ce que dévoilent les études scientifiques
En 2017, des documents classifiés de Monsanto ont été rendus publics. Ils révélaient que depuis 1999, la multinationale s’inquiétait secrètement du « potentiel mutagène » du Glyphosate.
Autrement dit, de ses effets possibles sur l’ADN de nos cellules, pouvant favoriser le développement de cancers.
Et alors ?…
Rien de certain. Même Bayer/Monsanto, en interne, n’est pas sûre que le Glyphosate soit dangereux.
Avant et après ces révélations, des études ont été menées par différents organismes publics. Difficile de tous les accuser de parti-pris ou de conflit d’intérêt.
Et alors ??…
Toujours rien de certain : la communauté scientifique a bien du mal à parvenir à un accord.
Certaines études sont remises en cause car elles ne respecteraient pas le protocole scientifique… Et dans l’ensemble, elles ne parviennent pas à prouver de façon certaine l’effet cancérogène du produit chez l’homme, à travers une alimentation normale.
(En revanche, une étude très récente a démontré qu’une exposition répétée à très haute dose – typiquement chez des agriculteurs non protégés – augmentait les risques de lymphomes.
Mais rien n’indique qu’en dessous d’un seuil très élevé, le glyphosate pose encore ce type de problèmes…)
Bref, l’OMS a fini par classer le Glyphosate comme « cancérigène probable ».
Donc, le glyphosate est mauvais pour la santé ?
Peut-être.
Probablement, même.
Mais à doses normales – dans l’alimentation quotidienne « standard » des occidentaux – il n’est pas garanti qu’il ait un impact notable sur le corps.
Par contre, voilà ce dont on est sûr :
Des excès répétés de sucre, de sel ou de certaines graisses provoquent des effets catastrophiques sur la santé.
En fait, quand vous consommez un plat préparé industriel, il y a de bonnes chances pour que ces derniers soient beaucoup plus dommageables pour votre organisme que le glyphosate.
Je ne dis pas que le glyphosate est inoffensif, hein ! Notez bien.
On pourrait, comme le demandent certains, invoquer le principe de précaution pour interdire son usage en France (ou en Europe, ou partout dans le monde, en fait).
Cette mesure serait loin d’être sotte.
Mais franchement, si c’est pour continuer à consommer massivement les plats tout faits des hypermarchés… Pas sûr que cela fasse une grosse différence en termes de santé publique.
Même bios, ces plats industriels ont des effets délétères, car ils contiennent beaucoup trop de sucre, de sel, d’acides gras trans, etc.
Et les abeilles ??
Il semblerait que, tout comme les insecticides néonicotinoïdes, le glyphosate soit impliqué dans la mortalité croissante des abeilles.
Il semblerait.
Là encore, les études n’aboutissent pas à un résultat formel :
L’herbicide attaque la flore intestinale de nos pollinisatrices, ce qui les rend plus vulnérables aux infections… Mais qu’en est-il de l’effet réel sur la hausse de leur mortalité ?
Est-ce qu’on est au même niveau que les insecticides néonicotinoïdes ?
L’effet est-il réellement significatif ?
Difficile à dire pour l’instant…
Cancer social et environnemental
Le débat public sur les risques directs sur la santé des consommateurs, loin d’être inutile, a néanmoins tendance à attirer toutes les lumières sur lui.
Il en va de même pour les interrogations sur les effets du glyphosate sur la mortalité des abeilles.
Ces « combats pour la vérité » sont un peu l’arbre qui cache la forêt.
Au détriment de… tout le reste.
Tout ce que l’on sait de manière certaine sur le glyphosate et qui aurait dû nous faire interdire son usage depuis belle lurette.
Prenons trois faits essentiels :
Fait #1 : Un produit qui détruit la biodiversité.
En fait, c’est sa raison d’être.
Le glyphosate est un herbicide total. On l’emploie pour détruire toute la flore dans une zone donnée.
C’est d’ailleurs l’argument commercial essentiel des mélanges à base de glyphosate, dont le fameux Roundup, présenté sur le site Roundup.fr comme « un herbicide foliaire systémique, non sélectif »
On y apprend également que :
Son très large spectre d’action permet de détruire l’ensemble des mauvaises herbes annuelles, bisannuelles et vivaces.
Le but : nettoyer une parcelle de toute vie végétale,
- soit pour la laisser à nue,
- soit pour la remplacer par une monoculture (maïs, blé, colza… peu importe).
On ne peut pas dire que tout cela encourage les écosystèmes naturels à persévérer dans leur être…
Sur ce postulat élémentaire et incontesté, à quoi, selon vous, l’utilisation massive de glyphosate est-elle censée nous mener ?
À un monde où l’homme cohabite avec la nature sauvage dans une relation de dépendance consciente, de respect et d’harmonie ?…
Fait #2 : Un produit de l’agriculture industrielle
À travers le monde, deux grands modèles d’agriculture s’opposent :
- L’agriculture industrielle : très peu d’agriculteurs produisent de grosses quantités sur des très grandes surfaces. Cette approche détruit les sols et pousse les producteurs au suicide.
- L’agriculture vivrière : beaucoup d’agriculteurs produisent sur de petites surfaces en utilisant des procédés traditionnels… Ou plus modernes, comme la permaculture, qui offre d’excellents rendements. Cette approche respecte la nature et les individus.
Le premier modèle est en train de dévorer le second. Je vous laisse deviner dans quel camp se trouve le glyphosate…
S’il est encore proposé à la vente pour les particuliers dans certains pays, c’est avant tout pour l’agriculture intensive à grande échelle qu’il a été conçu.
Pour s’en convaincre, il suffit d’observer la stratégie de Monsanto :
Développer des semences OGM qui résistent au glyphosate.
Ainsi, le maïs, soja ou coton « Roundup ready » permettent aux agriculteurs de balancer du glyphosate dans leurs champs en quantité, à tout moment… tout en préservant facilement leurs récoltes.
Là encore, du pain béni pour la monoculture…
Le glyphosate est donc prévu pour la culture à grande échelle d’espèces génétiquement modifiées. Il s’inscrit dans une logique d’industrialisation du vivant.
Vous ne percevez pas comme un problème dans cette constatation ?
Fait #3 : Un produit de la mondialisation
Bon, vous connaissez la multinationale qui a développé le glyphosate : Monsanto.
Vous connaissez aussi la multinationale qui a racheté cette firme : Bayer.
Je vous invite quand même à vous renseigner un peu sur chacune d’elles…
Mais le problème ne se résume pas à ces deux nébuleuses.
En nous rendant dépendants de produits comme le glyphosate et les OGM brevetés par ce type de sociétés, nous sacrifions notre souveraineté alimentaire au néo-libéralisme et à la mondialisation.
Or, nous le savons tous :
Ce modèle économique creuse les inégalités.
C’est une machine à broyer les humains et la nature.
Il repose sur l’industrialisme et le transport mondial de marchandises à très grande échelle.
Refuser, résister
Vous l’aurez compris, ce n’est pas particulièrement le glyphosate qui pose problème.
S’il finit par être interdit pour des raisons sanitaires ou environnementales (cancer, abeilles…), alors tant mieux…
Mais plus généralement, ce produit n’est qu’un symbole de ce qui ne va pas dans notre approche de l’agriculture et dans l’organisation de nos sociétés en général.
Si ce symbole disparaît, d’autres prendront sa place.
Par nos choix de vie et par nos actions politiques, nous pouvons refuser, résister, emprunter une autre voie.
Plus durable.
Plus humaine.
Plus juste.
Sources
Si vous voulez creuser un peu le sujet, je vous conseille pour commencer la lecture des pages Wikipedia suivantes :
Quelques études sur les effets cancérogènes possibles du glyphosate :
- Coupe R., Kalkhoff S., Capel P., Gregoire C., Fate and transport of glyphosate and aminomethylphosphonic acid in surface waters of agricultural basins. Pest Manag Sci. 2012;68(1):16–30.
- Julie Marc, Odile Mulner-Lorillon, Robert Bellé, « Glyphosate-based pesticides affect cell cycle regulation », 2003
- Motohiko Ukiya, Shingo Sawada, Takashi Kikuchi et Yasunori Kushi, « Cytotoxic and apoptosis-inducing activities of steviol and isosteviol derivatives against human cancer cell lines », Chemistry & Biodiversity, vol. 10, février 2013, p. 177-188
- Alejandra Paganelli, Victoria Gnazzo, Helena Acosta, Silvia L. López et Andrés E. Carrasco, Glyphosate-Based Herbicides Produce Teratogenic Effects on Vertebrates by Impairing Retinoic Acid Signaling, American Chemical Society, 9 août 2010.
Étude démontrant une augmentation des risques de lymphomes chez les utilisateurs exposés à de très hautes doses de glyphosate :
-
Luoping Zhang, Iemaan Rana, Rachel M.Shaffer, Emanuela Taioli, Lianne Sheppard, Exposure to Glyphosate-Based Herbicides and Risk for Non-Hodgkin Lymphoma: A Meta-Analysis and Supporting Evidence, Mutation Research, 10 février 2019
Étude sur l’effet possible du glyphosate sur la hausse de mortalité des abeilles :
- Warren CornwallSep. 24 et 2018, « Common weed killer—believed harmless to animals—may be harming bees worldwide », sur Science | AAAS, 24 septembre 2018
18 commentaires
Merci pour cet article. J’ai déjà eu à utiliser du glyphosate et au bout de quelques heures, ça donne la migraine.. cancérigène ou pas, comme tu le dis ça ne va pas dans le sens du vivant.
Tu m’étonnes !
Et pour en rajouter sur le vivant, le glyphosate est un poison non seulement pour les plantes, mais aussi pour les sols et donc pour nous !
Je m’explique.
La principale raison pour laquelle on utilise du glyphosate, c’est la monoculture. Une monoculture qui appauvri les sols. Sol dans lesquels nous cultivons des aliments qui ne trouvent plus les micronutriments dont nous avons besoin pour être en bonne santé.
Cancérigène ou pas, il faut qu’on arrête !
La transition sera difficile pour nos agriculteurs mais elle passera par la culture sous couvert végétal de légumineuses, de céréales et de bien d’autres plantes fantastiques et, à l’aide de l’agroforesterie.
Merci pour cet excellent article, nuancé, posé et intelligent. J’aurais aimé qu’il soit encore plus fourni, avec davantage d’études à l’appui, mais le fond est là 😉
Oui, j’aurais aimé aussi ! 🙂
Mais cela aurait été au risque de perdre les lecteurs… Quand c’est trop long beaucoup de gens décrochent et du coup le message a du mal à passer…
Comme toujours il faut faire la balance entre le bénéfice et le risque, adepte depuis peu de l’agriculture de conservation qui évite le labour et donc d’augmenter le carbone stocké dans le sol, améliore la vie biologique du sol et de moins consommer de carburant fossile pour travailler la terre, le glyphosate tant décrié sans preuve scientifique et utilisé à de faible dose, a toute sa place.
On fait un produit qui desherbe tout et ….on vend ses graines qui résistent à ce produit !! : Deal très juteux !!
Même si je reste convaincue que le glyphosate c’est de la m… et Monsanto le diable, j’ai beaucoup apprécié ton article et la neutralité que tu conserves tout du long. C’est important de garder la tête froide et de se baser sur des faits quand on se lance dans ce type de sujet, et c’est malheureusement ce qu’on oublie souvent de faire et qui dessert la « cause »…
Bref, merci pour ces infos, qui m’étaient inconnues pour certaines et qui éclairent pas mal de choses ! 🙂
Bon week-end !
Merci à toi 🙂 Bon week-end également
J’ajoute un long article parfaitement bien documenté sur le sujet « cancerigène ou pas ».
https://www.pseudo-sciences.org/spip.php?article3015
Sans apporter une réponse claire, il montre combien il est difficile de se faire une opinion tant les rapports sont contradictoires.
Ce qui est évident, c’est qu’il existe un réel problème de modèle économique et que basculer dans le monde sans glyphosate aura de très lourdes implications sur le fonctionnement des exploitations agricoles.
Merci Yves pour ce lien !
J’aime beaucoup ce site, leur avis est toujours bien étayé et documenté 🙂
Clair,précis pas trop long à lire…idéal pour commencer une journée avec des connaissances supplémentaires. Merci.
Merci à toi pour ce feedback qui fait bien plaisir 🙂
merci pour cet article court concis et surtout nuancé. On en a tellement besoin dans une société médiatique régie par l’émotion, le choc. Sans tomber dans le déni, cet article a le mérite de ne pas être manichéen et de nous faire prendre du recul sur un sujet sensible. C’est vrai que le glyphosate est un des nombreux symboles de la société néo libérale : l’arbre qui cache la forêt.
Comme en politique avec l’affaire Benal.. oups, qu’ai-je dis ? 🙂
Merci pour votre analyse sans partie pris.
C’est toujours un plaisir de vous lire.
Merci à vous 🙂
Excellente analyse. Tous les points soulevés sont justes, et le dernier m’a particulièrement plu: le glyphosate est un symptôme, pas la maladie. Malheureusement (mais ça serait trop facile). Merci pour cet article et continuez sur ce chemin!
Merci Marie 🙂